mercredi 7 septembre 2016

La rumeur


La rumeur, par Victor Hugo (1802-1885)

Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes ;
TOUT, la haine et le deuil !
Et ne m'objectez pas que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas.
Écoutez bien ceci :
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille du plus mystérieux
De vos amis de coeur ou si vous aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce MOT - que vous croyez que l'on n'a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre -
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre ;
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin ;
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
Au besoin, il prendrait des ailes, comme l'aigle !
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera ;
Il suit le quai, franchit la place, et caetera
Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage ; il a la clé,
Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe, entre, arrive
Et railleur, regardant l'homme en face dit :
"Me voilà ! Je sors de la bouche d'un tel."

Et c'est fait. Vous avez un ennemi mortel.

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mardi 6 septembre 2016

Sur la pointe

Tu crois que c’est gai de vivre nu,
Tout nu sur la pointe d’une aiguille
Avec tout ce vide autour de soi
Avec tout ce creux dans les poumons,
Tout nu sur la pointe d’une aiguille
Sans un grain de sable pour s’asseoir
Et sans un nuage pour dormir,
Sans une chanson dans les oreilles
Tout nu sur la pointe d’une aiguille
Avec tout ce froid, ce froid, ce froid
Et ce ciel muet sur les épaules,
Tu crois que c’est gai de vivre mort
Dans l’abîme d’être et ne pas être,
Debout sur la pointe d’une aiguille ?

Géo NORGE, Le Stupéfait (Gallimard)

Les mots

"Et ainsi, je parle, je parle, je parle, je parle ! J’accumule vocable sur vocable, le verbe qui se plie, l’adjectif comme un bloc, les prépositions-éclairs, les adverbes ductibles, – tout cela sans avancer d’un pas ! Et le temps passe ! J’ai si peu de jours ici-bas pour la nomenclature de la surabondante Création ! Comme elle est lente, la parole ! Il me faudrait aller toujours plus loin dans la vitesse. Il me faut des mots qui fusent, d’autres qui brûlent, d’autres qui désaltèrent. Il me faut des rapprochements de concepts, un papillottement d’images, des chocs de souvenirs qui fassent jaillir l’éclair ! La foudre ! La joie ! Le feu ! La cendre ! Le rire ! Les sanglots ! Et l’ineffable qui est au-delà ! Moins de mots ! Toujours moins de mots, mais qu’ils éclatent ! qu’ils éblouissent ! qu’ils déchirent ! qu’ils réduisent à néant les pensées toutes faites, les uniprix de la raison pure, les ronrons de la poésie au mètre !"
TARDIEU

Humour et poésie

Chœur d’enfants
(à tue-tête et très scandé)
Tout ce qui a commencé
il faut bien que ça finisse :
la maison zon sous l’orage
le bateau dans le naufrage
le voyageur chez les sauvages.
Ce qui s’est manifesté
il faut que ça disparaisse :
feuilles vertes de l’été
espoir jeunesse et beauté
an ci-en-nes vérités.
Moralité
Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Si vous ne voulez pas mourir,
quelques mois avant de naître
faites-vous décommander.
Jean Tardieu (1903 – 1995)